http://www.madeinpoker.com/opinions/la-guerre-des-rooms-7072.htmlLe poker est une activité économique particulièrement rentable, surtout le domaine online, les chiffres d'affaires et bénéfices (rigoureusement confidentiels) réalisés par les majeurs de la profession (PokerStars et FullTilt en tête) seraient de nature à faire pâlir des multinationales centenaires ! Il est donc inévitable que la concurrence soit farouche.
Jusqu'à une période récente, ces affrontements entre concurrents se résumaient à des opérations commerciales et stratégiques classiques : campagnes publicitaires, programmes de fidélisation des clients (promotions, bonus, rakeback), développement de softwares performants, sponsorisation d'événements ou de joueurs emblématiques, concentration avec le rachat d'entreprises mineures, etc. Depuis quelques mois, les principaux intervenants du secteur se livrent à une escalade dangeureuse en tentant d'utilser leurs puissances de feu respectives pour s'imposer comme des acteurs incontournables et uniques du marché.
Chacune des pokerrooms importantes du marché a développé son écurie de joueurs sponsorisés et son ou ses circuits de tournois-phares. Une situation qui au départ n'avait rien d'inquiétant, au contraire en soutenant tournois et joueurs, les opérateurs contribuaient à assurer le développement du poker. Sauf que les données sont en train de changer, la concurrence effrénée que se livrent les deux principaux rivaux, PokerStars et FullTilt, entrainant dans leur sillage les autres opérateurs, engendre une volonté hégémonique inquiétante.
Les acteurs majeurs de l'industrie du poker online ont développé leur propre circuit de tournois et veillent à ce que leur team de joueurs sous contrat les dispute, tout en évitant que ceux-ci ne concourrent dans les épreuves associées à un concurrent. Il devient de plus en plus rare qu'un joueur estampillé FullTilt dispute un EPT, tout comme les joueurs de PokerStars n'apparaissent que de plus en plus exceptionnellement sur un des tournois soutenus par un rival. Derrière les deux géants, les rooms importantes tentent de suivre le mouvement, Winamax ou Everest par exemple, créent leurs propres tournois parfois en concurrence directe avec une autre compétition du circuit et imposent à leurs joueurs de les disputer. Les tournois ne sont pas les seules victimes de cette compétition médiatique et économique, les émissions de télé qui faisaient le bonheur des passionnés en pâtissent à leur tour : les High Stakes Poker, dorénavant sponsorisés par PokerStars, souffrent du boycott des joueurs FullTilt qui prétextent l'interdiction de porter leur logo pour aller jouer ailleurs. Il est dorénavant impossible d'assister à des affrontements opposant Ivey, Negreanu, Hansen, Greenstein, Esfandiari ou Brunson (la main opposant Hansen et Negreanu et le carré du premier contre le full du second ne sera bientôt qu'une image d'archive jaunie). On assistera dorénavant aux duels entre joueurs FullTilt, PokerStars ou PartyPoker, mais chacun de son côté. Comme ça, à la fin, ce sera toujours un poulain du site qui l'emportera... Pas sur qu'à terme le poker en sorte vainqueur et les amateurs continuent de se passionner pour de telles joutes !
Pour l'instant -et heureusement- les WSOP ne sont pas encore inquiétés et bénéficient toujours de leur aura de championnats du monde officieux pour offrir aux fans un plateau exceptionnel. Mais il n'est pas certain, eu égard à l'évolution de la situation globale et aux accords commerciaux entre la marque Harrah's et certains partenaires- que cette trêve ne perdure indéfiniment en témoigne les récentes restrictions survenues en France sur l'utilisation de l'accronyme WSOP après le partenariat entre Barrière et les World Series...
La conséquence est inévitable et ressemble à un dangereux engrenage. Chaque opérateur accentue sa politique d'exclusivité, augmentant l'importance des ses écuries, le nombre de ses tournois et les confrontations entre stars de la discipline se raréfient... Les plus petits tentant eux de survivre et d'éviter les obus, en créant leurs propres circuits à "buy-in réduits" ou en laissant leurs joueurs disputer les nombreuses compétitions existantes en espérant qu'ils fassent un résultat et qu'un média veuille bien le relater...
C'est une situation sans précédent dans l'univers du sport. Toutes les principales compétitions opposant des adversaires soutenus par des marques commerciales, Formule 1 ou cyclisme par exemple, se nourrissent d'affrontements entre concurrents sur le même terrain de jeu. Imagine-t-on Tom Boonen ne disputer que Paris-Roubaix et Fabian Cancellera l'éviter soigneusement en ne participant qu'au Tour des Flandres alors que dans le même temps Renault boycotterait Monaco et Monza tandis que Ferrari ferait l'impasse sur Spa car une Pub pour Mercedes apparaitraît au détour d'un virage ?
Les pokerrooms n'ont rien à gagner à une telle politique. Leur volonté s'apparente à vouloir se partager favorablement un gateau -certes appétissant et juteux- alors qu'il serait plus intelligent de chercher à augmenter continuellement la taille du dit-gateau. La légende du poker s'est nourrie d'affrontements épiques entre les meilleurs et de fields de plus en plus importants opposant l'élite de la discipline. C'est grâce à ce formidable intérêt généré par les tournois, couplé à la possibilité offerte à chacun de devenir un jour un vainqueur potentiel que l'augmentation exponentielle du nombre d'adeptes a eu lieu. Il n'est pas sur que la concurrence actuelle et la manière dont elle s'exerce soient de nature à soutenir très longtemps l'engouement dont bénéficie le poker. Il est certain, malheureusement, que l'intérêt des amateurs va aller en déclinant, le dernier exemple en date, la World Team Poker qui s'avère une excellente initiative, susceptible de passionner les spectateurs et téléspectateurs, souffrant d'ores et déjà du "boycott" des écuries de certains opérateurs.
Le risque étant qu'à moyenne échéance, tout ce beau monde soit contraint de se partager un gateau bien maigre...