http://www.webdopoker.com/actualite-du-poker/2011/03/10/joueur-professionnel-de-poker/...le poker représente probablement « le dernier avatar du rêve Américain ». Muni de 30$, Chris Moneymaker s’est qualifié sur PokerStars pour le main event des WSOP, mise minime qu’il a transformé en 1,5 millions de dollars, poussant ainsi une génération entière de joueurs amateurs à tenter de reproduire sa performance. Le poker concrétise ainsi pour chacun la dernière chance de devenir un « self-made man ».
Partir de rien – ou de peu – pour tutoyer les sommets, voilà la promesse implicite qui nous fait tous avancer, quelque soit notre niveau de jeu, nos opinions politiques ou notre condition sociale. Certains réussissent, puis franchissent le pas: ils décident de « passer pro ». Ce qui leur apparaissait jusque là comme un aboutissement devient alors une vraie carrière, avec ses promotions, ses objectifs à moyen ou long terme, ses passages obligés, ses axes de progression… et souvent ses impasses.
Alors, devenir joueur pro, rêve ou cauchemar ?
Passer pro ? Si une seule constante était à retenir, quelque soit l’activité mise en question, il s’agit bien des éléments moteur qui font avancer les gens: Reconnaissance, Gloire, Fortune. La plupart des joueurs que vous interrogerez à ce sujet dirons le plus souvent: « Moi, tu sais, je ne joue pas pour l’argent, mais uniquement pour la gloire. »
Soit.
Nous tenons là l’essentiel des raisons qui font que des milliers de joueurs amateurs essaient toutes les semaines de se qualifier sur internet pour des tournois majeurs live du style European Poker Tour. Et, là encore, ce sont ces mêmes facteurs qui poussent certains des joueurs qui cartonnent sur internet, à tenter l’aventure en live.
Comme si seul comptait le fait de jouer sur de vraies tables dans de vrais casinos.
Comme si cela ne suffisait pas de gagner sa vie en grindant sur la toile.
Et c’est bien là le problème, la dualité de ce milieu: les joueurs qui vivent du poker online manquent cruellement de reconnaissance, et tentent alors de jouer en live, sur les circuits internationaux… pour avoir leur part de spotlights.
Beaucoup s’y sont cassés les dents: nombre de joueurs qui alignaient régulièrement de belles performances sur le net n’ont pas réussi à percer en live. Ceux qui sont sponsorisés bénéficient la plupart du temps d’une enveloppe financière qui leur permet d’absorber la variance à plus ou moins long terme, mais qu’en est-il des autres ? Combien de temps ont-ils pour réaliser une vraie performance ?
Comme le disait Chris Ferguson, un joueur ne devrait pas engager plus de 2% de son bankroll dans un même tournoi. Une étape EPT coûte en moyenne 5,000€, chaque joueur professionnel présent dans ce type de tournois devrait alors tourner avec un bankroll minimum de 250,000€. Si l’on inclut dans ce calcul les frais engagés pour jouer ce tournoi (transport, logement, etc..) le bankroll nécessaire se monte alors à 325,000€. Au minimum.
En écartant volontairement toute notion de bankroll management, nous avons réalisé quelques calculs, et déterminé la chose suivante: le joueur qui souhaite s’offrir une saison de poker de tournoi live digne de ce nom en Europe doit prévoir quasiment 100,000 €. Et on ne parle ici que de quelques tournois, parmi les plus connus: à la louche, une dizaine d’épreuves European Poker Tour, trois World Poker Tour, et deux tournois hors-circuit tels l’Irish Open de Dublin et le Master Classics d’Amsterdam.
Soit quinze tournois au total, répartis de début septembre à fin mai, uniquement en Europe. Le calcul des buy-in, cumulé aux frais engagés par le joueur (transport, logement, frais de bouche) nous amène à un montant total de 91,500 €. Seulement ensuite, arrivent les World Series of Poker de Las Vegas, qui se tiennent pendant près de deux mois, chaque année: là, il faut prévoir une belle rallonge supplémentaire.
Et ces calculs font abstraction du coût de la vie: avec 91,500€ en poche pour sa saison européenne, ce même joueur n’a pas encore payé son loyer mensuel, ses charges, etc…
Prenez cet élément financier, et ajoutez-le au fait que, lorsqu’il est dans l’avion, ou assis à une table live, le joueur ne peut pas gagner sa vie en grindant online… du coup, le passage au poker live ressemble fort à une perte de temps et d’argent, complètement soumis à la variance en tournoi. En d’autres termes, si ce joueur n’a pas réalisé de place payée en quinze tournois, il est broke. Dur.
De temps en temps, un joueur réalise une performance, concrétisant le rêve de tous, et justifie alors le fait d’avoir tenté l’aventure. Parfois, suite à cela, il se voit offrir un contrat de sponsoring, et il peut alors prolonger l’expérience « live », puisqu’il n’a plus à se soucier du financement de ses tournois.
La chasse aux sponsorsTrouver un sponsor est probablement la meilleure solution pour rendre « l’aventure live » rentable: dès lors que le joueur ne finance plus lui-même ses tournois, l’impact sur son bankroll se limite aux frais incompressibles, du type transport et logement, et il arrive même parfois que ces frais soient pris en charge par le sponsor.
Bref, l’El Dorado du joueur, en somme.
Dès lors, comment faire pour décrocher un contrat de sponsoring ?
Trouver un contrat est directement lié aux attentes du sponsor, que l’on peut résumer en trois mots: retour sur image.
La communication étant le principal créateur de clientèle, et par là même de nouveaux comptes-joueur, un bon retour sur image est donc le seul avantage qu’un sponsor peut espérer retirer de ce genre de contrat. Lorsqu’il forme une équipe de joueurs, il installe en parallèle un outil de communication – le plus souvent sous forme de blog – alimenté par un reporter, grâce auquel les aventures de son équipe pourront être suivies par le grand public en quasi-instantané. Sporadiquement, il fait appel a d’autres formes de médias, mais le plus grand vecteur de communication reste le web.
Lorsque l’on a pris conscience de cela, que faut-il pour être sponsorisé ?
D’une manière générale, un joueur qui souhaite être sponsorisé doit:
– être connu et/ou membre actif des communautés de poker en France;
– représenter le cœur de cible du sponsor, auquel les joueurs amateurs s’identifieront facilement;
– si possible être agréable à regarder, puisque sa photo sera régulièrement affichée pendant les reportages;
– représenter en tout points l’image que le sponsor souhaite montrer;
– pouvoir revendiquer une légitimité, c’est-à-dire pouvoir aligner des résultats online.
Sinon, on peut aussi être un people qui s’intéresse au poker, ça marche bien. Si c’est le cas, on peut alors rayer toutes les mentions précédentes, qui deviennent caduques.
Les résultats (live) au poker arrivent seulement après tout cela. Il est évident que lorsque l’un de ses joueurs remporte un titre majeur, c’est l’équivalent d’un jackpot pour le sponsor: sa notoriété directe gagne plusieurs points, les demandes d’interviews affluent – durant lesquels le logo du sponsor sera mis en avant – et la fréquentation de son site augmente considérablement.
D’un autre côté, le joueur sponsorisé est soumis à toutes sortes d’obligations, de par son contrat: participer à toutes les interviews, être toujours accessible, parfois tenir lui-même un blog pour communiquer directement avec les gens qui souhaitent suivre ses aventures… D’une manière générale, il doit faire acte de représentation pour son sponsor.
Les joueurs professionnels issus des forums de poker amateur sont également tributaires d’un autre facteur: ils se retrouvent parfois confrontés à des réactions extrêmes de la part des membres de ces mêmes forums. Combien d’articles a-t-on pu lire, contestant la décision d’untel à un moment T, remettant en question la légitimité d’un autre à être sponsorisé, décortiquant un coup parfois malheureux ou hasardeux, et en tirer des conséquences ou des raisonnements hors de propos…
Parfois, plus rarement, c’est l’inverse: le joueur est porté aux nues – souvent lorsqu’il réalise une performance – et doit gérer cette pression supplémentaire: ne pas décevoir tous ces internautes qui le suivent par blog interposé.
Un marché qui se resserreTout cela était valable avant l’ouverture légale du marché du jeu en ligne en France. Le marché des sponsors s’est considérablement resserré depuis l’été dernier. Avant l’ouverture du marché du poker en France, les sites de poker en ligne nageaient dans un agréable flou juridique, plutôt confortable: personne ne savait vraiment ce qui était légal ou pas, et tout le monde s’en fichait éperdument. Les rooms cherchaient à tout prix à conquérir de nouvelle parts de ce marché de niche, et recrutaient leurs joueurs relativement facilement, créant ainsi une sorte de marché de joueurs « sponsorisables ». Ces même rooms disposaient aussi, élèment non négligeable, d’un budget bien plus extensible.
Depuis l’ouverture en juin dernier, seuls les sites de poker agréés par l’ARJEL peuvent exercer en France: ils ont dès lors pioché dans l’offre, formant leurs équipes en mélangeant allègrement joueurs connus et/ou de bon niveau, et peoples. Le marché s’est donc refermé aussi rapidement qu’il s’était ouvert, et si trouver un sponsor n’était déjà pas chose facile il y a un an, cela est désormais devenu une performance en soi, réservé à une élite.
Mais n’est-ce pas en cela que réside la puissance du poker ? Parvenir à persuader tout le monde que n’importe qui peut faire partie de cette élite est probablement sa plus grande force, notre plus belle motivation, qui nous pousse à croire qu’il est temps de connaître enfin Reconnaissance, Gloire et Fortune.