http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/11/09/bernard-squarcini-cite-en-marge-de-l-affaire-du-wagram_1601081_3224.htmlVoyous, acteurs de séries télévisées, élus politiques... Dans l'étonnant casting de l'affaire du Cercle Wagram, cet établissement de jeux parisien au centre de l'instruction pour "blanchiment" et "extorsion de fonds" du juge Serge Tournaire, il ne manquait qu'une silhouette, entre les tapis verts et les roulettes. C'est fait. Voilà qu'on croise désormais, dans le rôle d'un "tonton" (sic) d'une des employées du Cercle placée en garde à vue en juin, le nom du patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), Bernard Squarcini.
Depuis que, le 19 janvier, une équipe corse montée à Paris a délogé manu militari les employés de l'établissement pour le "prendre en main" et le redonner à ses anciens dirigeants, l'enquête affichait déjà un générique pittoresque. Les plus gros bandits du moment, d'abord - dont trois sont en cavale après ce putsch. Ils devaient remettre en place l'ancienne direction du Cercle, parmi laquelle deux acteurs de "Mafiosa", la série culte de Canal+ (Le Monde du 23 août). Est apparu ensuite le nom du député socialiste et maire de Sarcelles (Val-d'Oise) François Pupponi, entendu à sa demande et comme témoin par les enquêteurs, après que son nom a été cité par un directeur des services de la mairie qui dit avoir été menacé en marge de l'affaire.
Les putschistes, une équipe emmenée par Jean-Luc Germani, l'un des héritiers de feu Richard Casanova, un caïd de la Brise de mer, croient avoir réussi leur coup. Ils ont délogé l'équipe qui avait pris leur place deux ans plus tôt. Mais le 8 juin, la police judiciaire, qui avait placé le Cercle sous surveillance, lance un coup de filet. Le Wagram est fermé dans la foulée.
Parmi les employés interpellés, une femme de 32 ans, responsable du bar et du restaurant du Cercle. Embauchée il y a dix ans au Wagram, Marie-Claire Giacomini est l'une de ses plus anciennes salariées. Curieusement, elle est restée en place après le coup de force du 19 janvier : elle fait partie de ceux qui se sont réjouis du retour de l'ancienne direction du Cercle. Dans son appartement parisien, loué au nom de Michel Ferracci, aujourd'hui comédien "Mafiosa" mais directeur des jeux du Wagram jusqu'en 2008 et proche des "repreneurs" de janvier, on trouve des enveloppes de liquide : les pourboires des employés du Cercle, "avant répartition", dit aux enquêteurs la barmaid du Wagram, à la tête d'une équipe de 21 personnes. Mais aussi un porte-clés des renseignements généraux et des cartes de visite de Bernard Squarcini...
Au Cercle, 47, avenue de Wagram, la proximité entre Mme Giacomini et M. Squarcini était un secret de polichinelle, si l'on en croit le personnel interrogé par le juge Tournaire. Il était "connu dans le Cercle qu'elle était la "nièce" d'un policier (...) haut placé dans la police, nommé je crois Squarcini", raconte ainsi le 6 septembre au juge Tournaire la physionomiste du Cercle - évincée le 19 janvier. "Je l'ai entendu une fois évoquer ce "tonton"", poursuit l'employée.
Entendue le 14 octobre, Marie-Claire Giacomini n'a pas caché cette proximité au juge Tournaire. "Je connais Bernard Squarcini depuis que j'ai 14 ou 15 ans. Je l'ai toujours vu, tous les étés, soit à Ajaccio, soit au village lorsque mon oncle l'invitait à déjeuner, puis à Paris. J'ai son numéro et je peux l'appeler en cas de besoin."
La jeune femme tient à préciser que ce faux "tonton" ne l'a pas fait recruter au Cercle. "J'ai été recommandée par François Casanova, policier aux renseignements généraux, qui était un ami proche de mon père puisqu'ils étaient à l'école ensemble en Corse" et du même village de Moca-Croce, en Corse-du-Sud, explique-t-elle au magistrat. François Casanova ? Le "meilleur chien de chasse" et ami défunt de Bernard Squarcini, celui qui lui a présenté l'homme d'affaires Alexandre Djouhri et permis d'arrêter Yvan Colonna (Le Monde du 18 octobre).
"Bernard (Squarcini) a pu me demander si ça allait, si ça se passait bien au boulot, mais rien de plus", assure la barmaid du Wagram au juge. Pourtant, le 9 juin, jour du coup de filet policier, Marie-Claire Giacomini était en voyage à Las Vegas. Affolée à l'idée qu'on fracasse la porte de son appartement parisien, elle a appelé "Tonton".
Bernard Squarcini a confirmé au Monde avoir alors pris son téléphone pour appeler la police judiciaire. C'est pour "prévenir que sa nièce était en voyage, mais qu'elle se présenterait le lendemain", assure aujourd'hui le directeur central de la police judiciaire, Christian Lothion.
Devant le juge, Marie-Claire Giacomini s'était inquiétée qu'on puisse penser qu'elle était "une sorte d'agent infiltré" au Cercle "pour le compte de la DCRI". Bernard Squarcini s'enflamme aussi à cette idée. "Quittons le monde de la nuit et le fantasme ! Un cercle est un monde de passage très intéressant pour la mouvance policière. Mais si j'ai besoin de quoi que ce soit, j'ai ce qu'il faut. Et la PJ aussi, croyez-moi !"